L’île d’Amsterdam abrite plus de 65 % de la population d’albatros à bec jaune de l’océan Indien (Thalassarche carteri). Cette espèce est classée « en danger » (EN) à l’échelle mondiale sur la liste rouge de l’UICN en raison du déclin rapide de la population. Les mortalités causées par les maladies aviaires et la prédation des œufs et des poussins par les mammifères introduits, en particulier le rat surmulot (Rattus norvegicus), ont été identifiées comme étant les principales causes de ce déclin.
En réponse à la menace que représentent les espèces exotiques envahissantes pour la biodiversité, le projet RECI (Restauration des écosystèmes insulaires de l’océan Indien) a été initié en 2019 avec le soutien financier de l’Union Européenne et de l’Office français de la biodiversité (OFB) pour renforcer les moyens d’intervention.
Les projets scientifiques IPEV-109 ORNTIHOECO (mis en œuvre par le Centre d’Études Biologique de Chizé – CEBC et soutenu par l’Institut Polaire Français – IPEV ), IPEV-1151 ECOPATH (conduit par le Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive avec le soutien de de l’IPEV et l’Agence Nationale de la Recherche) et les Terres australes et antarctiques françaises collaborent dans ce cadre pour étudier les mécanismes épidémiologiques impactant la colonie d’albatros à bec jaune d’Entrecasteaux et mettre en place des actions de protection en faveur de l’espèce.
Son long bec noir surmonté d’une ligne jaune, lui permet de se différencier des autres espèces d’albatros. Les albatros à bec jaune vivent principalement dans le sud de l’océan Indien, au large de l’Afrique australe et de l’Australie. 65 % de la population mondiale se reproduit sur l’île Amsterdam, soit environ 25 000 couples. Ils nichent notamment sur les falaises d’Entrecasteaux dans les hautes herbes ou sur le sol nu. Leurs nids forment un cône cylindrique construit avec des herbes et de la boue.
Sur l’île Amsterdam, différentes causes expliquent la baisse des effectifs de l’albatros à bec jaune de l’océan Indien :
– La mortalité annuelle massive de poussins due à leur infection par la bactérie Pasteurella multocida, l’agent du choléra aviaire (Weimerskirch 2004, Jaeger et al. 2018
– La prédation des œufs et des poussins par le rat surmulot (Rattus norvegicus). Les rongeurs (Rattus norvegicus et Mus musculus – la souris grise) sont observés depuis 2 siècles sur l’île Amsterdam (premier signalement en 1823 pour les souris et en 1931 pour les rats). Ces animaux ont été introduits par l’homme de façon involontaire et ont causé de nombreux dégâts sur la faune et la flore. Le rat surmulot est omnivore. Son régime alimentaire est composé de matière végétale, de céréales, de graines et également de petits animaux comme les souris, les poussins, les œufs, les invertébrés (coléoptères, araignées …).
– L’interaction des albatros avec la pêche à la palangre dans les eaux internationales est source de captures accidentelles, notamment sur les flottilles de palangriers pélagiques pêchant aux abords de la ZEE de Saint-Paul et Amsterdam et pour lesquelles la surveillance des activités de pêche est difficile. Ce risque est quasi-nul dans les Terres australes et antarctiques françaises grâce aux mesures de limitation des impacts qui sont mises en place depuis plusieurs années.
Des études des populations et des actions de limitation des mammifères introduits ont donc été mises en place sur les secteurs à fort enjeux des colonies aviaires, notamment sur le secteur d’Entrecasteaux.
Le projet IPEV-1151 ECOPATH suit annuellement une colonie d’albatros à bec jaune sur les falaises d’Entrecasteaux afin de déterminer les causes du déclenchement des épizooties (épidémie touchant les animaux). Les chercheurs testent la protection des poussins d’albatros par la vaccination des femelles reproductrices afin qu’elles puissent protéger leurs jeunes pendant plusieurs années via le transfert d’anticorps maternels (Gamble et al. 2019). Ce projet s’intéresse également au rôle des rats dans la circulation et la transmission des agents pathogènes. Les rats sont en effet suspectés de jouer un double rôle dans les mortalités en prédatant directement les poussins mais aussi en favorisant la circulation du choléra aviaire.
Le projet RECI (Restauration des écosystèmes insulaires de l’océan Indien) vise notamment à favoriser le succès de reproduction de la population d’albatros à bec jaune de l’océan Indien sur l’île Amsterdam. Dans le but de réduire l’impact de la prédation des rongeurs et pour sécuriser les études des projets scientifiques soutenus par l’IPEV, une centaine de pièges à rongeurs létaux (de type Goodnature ®A24) sont installés sur les colonies d’albatros à bec jaune depuis décembre 2021.
L’impact de ces pièges sur les rongeurs, notamment durant la saison hivernale, combiné aux campagnes de vaccination contre le choléra aviaire jouent un rôle important dans le succès de reproduction de l’albatros à bec jaune de l’océan Indien. En effet, le taux de survie constaté fin mars 2023 pour la saison de reproduction 2022/2023 est de 52 %, contre un taux de 11 % à la même date en 2022 descendant jusqu’à 4 % en 2019 et 2020 . Ce taux de survie est le meilleur depuis 10 ans et fait suite à la première saison de reproduction complète bénéficiant du contrôle des rongeurs par piège létal sur la colonie.
En 2024, les Terres australes et antarctiques françaises mèneront une opération d’envergure pour l’éradication des souris, rats et chats harets de l’île Amsterdam. Cette opération vise à protéger les nombreuses espèces remarquables de l’île (dont l’albatros à bec jaune de l’océan Indien). Grace à cette opération de restauration des écosystèmes, de nombreux bénéfices sont attendus pour la faune et la flore de l’île, et en particulier pour les oiseaux marins :
– une augmentation significative des populations par l’amélioration de la survie des adultes reproducteurs, un meilleur succès de reproduction et une préservation du cycle de reproduction;
– la recolonisation de l’île par les espèces d’oiseaux marins disparues;
– la limitation des effets négatifs des maladies infectieuses, notamment le choléra aviaire dont les rats sont suspectés d’être vecteur à Amsterdam.
Afin d’évaluer les implications de l’éradication des mammifères introduits sur les dynamiques épidémiologiques, des suivis de terrain spécifiques seront menés, notamment dans le cadre du projet REMOVE_DISEASE’, soutenu suite à l’appel d’offre international BiodivRestore de l’agence européenne Biodiversa.
La mise en œuvre de l’opération d’éradication sur l’île Amsterdam est prévue pendant l’hiver austral 2024, afin de tenir compte du cycle saisonnier de la densité des rongeurs sur l’île et de l’absence des espèces non-cibles, comme les oiseaux marins nicheurs.
En savoir plus sur le projet RECI :
En savoir plus sur le programme 1151 :
Références :
Gamble, A., Garnier, R., Jaeger, A., Gantelet, H., Thibault, E., Tortosa, P., Bourret, V., Thiebot, J.-B., Delord, K., Weimerskirch, H., Tornos, J., Barbraud, C. & Boulinier, T. 2019. Exposure of breeding albatrosses to the agent of avian cholera: dynamics of antibody levels and ecological implications. Oecologia on-line.
Jaeger, A., Lebarbenchon, C., Bourret, V., Bastien, M., Lagadec, E., Thiebot, J.-B., Boulinier, T., Delord, K., Barbraud, C., Marteau, C., Dellagi, K., Tortosa, P. & Weimerskirch, H. 2018. Avian cholera outbreaks threaten seabird species on Amsterdam Island. PLOS One 13: e0197291.