Crozet, Kerguelen, les TAAF en général, restent des terres lointaines et mystérieuses que le grand public n’associe pas forcément à l’histoire maritime française : quel est votre regard d’historien sur ces grandes découvertes terrestres et maritimes et sur leur héritage ?
La France est une puissance maritime, présente sur toutes les mers du globe, mais à la différence de la Grande-Bretagne et des États-Unis, elle n’en a guère conscience. Dans les têtes, elle est restée majoritairement un pays terrien, qui se voit en un hexagone européen, alors qu’elle forme en réalité un archipel mondial. Par plusieurs livres et articles, je me suis efforcé de faire connaître cette dimension maritime et universelle. L’idée que la France représente le deuxième domaine maritime mondial commence à se diffuser, mais il faut continuer d’expliquer pourquoi et comment.
Qu’est-ce qui a motivé cette publication totalement inédite d’un lexique « taafien » ?
D’abord, j’ai passé une partie de mon enfance dans l’hémisphère australe, à La Réunion. Très jeune, j’ai entendu parler des Kerguelen et su qu’on pouvait vivre en France très loin de l’Europe… En 2014, j’ai publié un Tour du monde des terres françaises oubliées (Editions du Trésor) qui a eu un certain écho : je montrais qu’on pouvait aujourd’hui encore faire le tour de la planète sans quitter la France… Ce livre contenait déjà un petit lexique « taafien », que j’ai complété au fil des ans, chaque fois que mes lectures me permettaient d’identifier un vocable nouveau. Le 250e anniversaire de la découverte des Kerguelen a permis l’édition de ce lexique sous la forme d’un livre, le premier entièrement consacré au taafien : L’Argot des manchots. Et je me réjouis de constater que ce petit livre étrange ne passe pas inaperçu.
À votre connaissance existe-t-il des « créations linguistiques » similaires pour un autre territoire français ?
Il existe des parlers locaux dérivés du français dans les régions et pays d’outre-mer, comme ce qu’on appelle « le créole » à La Réunion. Mais il s’agit de mots, tournures et accents qui s’apprennent dès l’enfance, dans une population stable. Le « taafien » est exceptionnel dans la mesure où il s’est forgé dans des territoires dont la population, très faible numériquement, est renouvelée périodiquement. Il est un cas intermédiaire, et sans doute unique, entre un dialecte local et un jargon de métier, comme celui en vigueur dans la Marine par exemple, auquel il emprunte d’ailleurs quelques termes.
Quelles sont les réactions de vos premiers lecteurs à la découverte de ce langage « taafien » ?
D’abord de la surprise et de la curiosité, d’autant que certains en Métropole découvrent en même temps l’existence des TAAF et leur localisation. Parfois étonnés que je me sois intéressé à ce vocabulaire alors que je n’ai pas séjourné dans ces territoires, tous admettent que ce lexique les a fait rêver à des destinations inattendues.